Interview de Frédéric Peynet, dessinateur de  'Toran' aux éditions Nucléa

 

Couverture du Tome 1 de 'Toran' scénarisé par Isabelle Plongeon, dessiné et mis en couleur par Frédéric Peynet.

 

Bonjour Frédéric Peynet, je suis ravi que vous ayez répondu à notre sollicitation et que vous nous dévoiliez un peu de vous même, vos inspirations, vos influences, et vos projets.

 

 

• Y-a-t-il eu un élément déclencheur pour vous amener a passer professionnel ?

L'élément déclencheur fut le départ d'un ami d'école de dessin pour rejoindre les éditions Delcourt. Je savais que lui aussi avais le même rêve que moi, mais il se bougeait plus, il y croyait. Moi pas, j'étais assez naïf, je pensais bêtement qu'on allait venir me chercher.  Le fait de le voir réussir a entrer chez un éditeur m'a pousse a me remettre en question : je me suis alors dit que c'était possible, mais qu'il fallait aller provoquer la chance, et non pas attendre qu'elle vienne frapper a la porte. 

Je suis alors allé a des rencontres organisées dans ma région par Crisse, et c'est la que tout a réellement commence, puisque j'ai rencontre tout de suite Isabelle Plongeon avec qui nous avons débuté une collaboration presqu'immediate.

 

• Quelles sont les premières BDs que vous vous souvenez avoir lues, quelles sont celles qui ont le plus compte pour vous ?

Les deux premières BDs que j'ai lu sont "Le grand fossé" d'Asterix et "L'honneur du Samourai", le tome 10 de Michel Vaillant. 

Mais les albums qui ont vraiment comptés pour moi sont les Thorgal. J'ai découvert Alinoë à l'age de huit ans, et ça m'a assez marqué. Je me suis alors plongé dans la lecture de toute cette série, quelques temps plus tard, et Rosinski représente une de mes principales influences.

 Quelques années plus tard, j'ai découvert "Peter Pan", version Loisel, et j'ai pris une claque, c'est le bon terme, je crois. Une claque sur la mise en scène, une claque sur la simplicité, la clarté. En tant qu'adepte du trait de Rosinski, je dois avouer qu'à  l'époque de mes 16 ans, je foutais des traits partout, je charbonnais a gogo, et je perdais énormément en lisibilité. C'est ça que j'ai appris en regardant les BDs de Loisel.

Des décors fouillés et toujours cette impression de profondeur dans les dessins. Détail de la page 20 du Tome 1 de 'Toran' scénarisé par Isabelle Plongeon, dessiné et mis en couleur par Frédéric Peynet.

 

• Quels sont les éléments qui vous sont le plus difficile a dessiner ? Quelles sont les perspectives que vous avez le plus de mal a réaliser ?

J'ai du mal a tout dessiner, en fait... Je fais pas mal de croquis à part, afin d'avoir le moins de trace de gomme ou de coup de cutter sur l'original. Toran étant un personnage presque nu, je dirais que c'est sur le plan anatomique que je dois être vigilant. J'aimerais suivre a nouveau des cours de nus, parce que je m'aperçois que perds très facilement sur ce domaine, mais je n'en ai malheureusement pas le temps. Mais je pense que c'est le domaine dans lequel j'ai le plus de mal. C'est bien plus que de l'observation, il faut comprendre comment tous les muscles apparents marchent, quels sont leurs points d'attache, etc... 

Cote pers, je dois avouer qu'en dessinant la jungle ou des fonds marins, comme c'est le cas dans le tome 2,  je suis plutôt a l'abris de l'erreur de perspective que je pourrais avoir plus facilement dans un monde contemporain.

Laona l'héroine éponyme du tome1. Détail de la page 1 du Tome 1 de 'Toran' scénarisé par Isabelle Plongeon, dessiné et mis en couleur par Frédéric Peynet.

 

• Quels ont été pour vous les rencontres décisives pour votre carrière, et celles qui ont influence votre style graphique ?

Tout d'abord, ma plus grande rencontre aura été, évidemment, celle de ma scénariste. Plus qu'une "simple" scénariste, Isabelle Plongeon a démarché les éditeurs, elle a donne beaucoup de son énergie pour nous faire connaître tous les deux. Je doute que j'en serai la aujourd'hui, sans elle. 

Une autre rencontre, ô combien décisive, celle ci aussi, fut ma rencontre avec Régis Loisel. Régis est un auteur complet et talentueux, on le sait, ;ais en plus, c'est un homme adorable, et toujours disponible pour aider de jeunes auteurs, leur donner tous les conseils qu'il puisse donner.

 J'ai envoyé mes planches très régulièrement a Régis, depuis 1988, et il m'a toujours guidé, m'a aidé à comprendre que la BD, ce n'était pas seulement une succession de cases, avec de beaux dessins dedans, mais que la BD, c'était avant tout la narration, l'importance capitale de la mise en scène. La simplicité et la fluidité de l'ensemble. Il m'a appris tout ça. Je ne dis pas évidemment que je maîtrise tous ces paramètres. Mais je les ai compris, et je vois toutes mes erreurs. J'essaye maintenant , a chaque album, de faire une conclusion un bilan sur mon travail, et de monter un palier a chaque fois, de toujours progresser.

 

• Sur "Toran", vous réalisez dessin et couleur, sur un scénario d'Isabelle Plongeon, mais par le passe, vous avez déjà réalisé une BD entièrement. Le fait de travailler avec une scénariste ne rend-elle pas votre collaboration plus difficile ?

 

Je pense que les deux type de travaux ont leur propres qualités et défauts. Travailler tout seul, c'est tout contrôler, c'est être le réalisateur, et il ne peut y avoir aucune contestation de la part d'un autre membre d'équipage, tout dépend de vous. 

Mais travailler avec un scénariste, c'est ne pas partir d'une feuille blanche, ne pas partir de zéro. Travailler a deux, c'est pouvoir se reposer sur l'autre, s'encourager, se motiver mutuellement, parcequ'on est pas tout seul dans cette "galère".

Avec Isabelle, nous avons toujours mis nos idées en commun, et le tome 1 de "Toran" a été réalisé, sur le plan du scénario, comme une partie de ping pong, chacun rebondissant sur les idées de l'autre. Ensuite, Isabelle a retravaillé l'ensemble, c'est son travail, mais le fait de travailler à deux est plus instructif, enrichissant, pour moi, que ne le fut mon album en solo. (ne le cherchez pas, je ne l'ai jamais fait publier !)

Laona l'héroine éponyme du tome1. Détail de la page 44 du Tome 1 de 'Toran' scénarisé par Isabelle Plongeon, dessiné et mis en couleur par Frédéric Peynet.

 

• Quelle expérience gardez-vous de cet album "Larmes du crime" ?

J'étais en dernière année d'Arts Appliques, et je devais réaliser une thèse pour valider mon diplôme. J'ai choisi de faire une BD, non pas pour le diplôme, mais pour mon avenir. J'avais un an pour tout faire, et je me voyais mal partis dans la pub, sans tenter ma chance, au moins auprès des éditeurs. 

J'ai donc tout fait, et pratiquement découvert les principales difficultés liées a la création d'une BD. J'ai découvert l'encrage, la mise en scène, les dialogues, leur complexité, la narration, la pagination, comment créer un effet de suspens en exploitant les pages droites-gauche, par exemple. J'en ai bavé, et l'album est vraiment très mauvais, mais au moins, j'ai pu prouver aux éditeurs que je suis allé voir, par la suite, avec Isabelle, que j'avais réalisé une BD de 52 pages en couleurs, tout seul. J'ai ainsi appris la persévérance et la patience ... Très important, ça !

• Pouvez-vous nous décrire une de vos journées de travail ?

J'arrive devant ma table à dessin vers 9h00. J'essaye, bien qu'habitant sur place, de me contraindre à suivre des horaires. Ca me discipline.

 J'attaque tout de suite, je n'ai pas trop a me chauffer la main. Parfois, si ça ne vient pas, je fais un ou deux croquis, afin que cette dernière soit prête, mais cela vient rapidement. Je passe mon temps a aller de ma table de dessin a ma table lumineuse, sur laquelle je décalque mes croquis sur ma planche originale. Je vais aussi sur l'ordinateur, afin de corriger des erreurs sur mes croquis. Cela ne m'oblige pas a les refaire. Si un bras est trop long, je le raccourcis sur l'ordinateur, et j'ai perdu très peu de temps, plutôt que de gommer et de recommencer. 

J'ai la radio en fond, je passe d'ailleurs mon temps à zapper, à la recherche d'un environnement musical adapté à la scène que je dois dessiner ou mettre en couleur. Une pause de 10h00 a 12h30, et je me remets a ma table a dessin jusqu'a 18h30-19h00.
Je n'ai pas de week-end, c'est 7 jours sur 7, sauf lorsque j'ai des séances de dédicaces. En revanche, une fois l'album termine je m'accorde un gros mois de vacances, car j'ai à ce moment la, bien besoin de souffler.

 

Pour vous mesdames les fesses de Toran. Détail de la page 11 du Tome 1 de 'Toran' scénarisé par Isabelle Plongeon, dessiné et mis en couleur par Frédéric Peynet.

 

• Avez-vous des scenarii en réserve sur lesquels vous aimeriez travailler ?

L'après Toran est prévu. Je travaille déjà dessus en compagnie de Jean-Charles Gaudin, au scénario. Nous allons vraiment aller là où on ne nous attend pas, je pense, en quittant l'Heroïc Fantasy pour un tout autre genre.

Mais d'ici là, j'ai déjà un album collectif à terminer pour les éditions Soleil, et bien sûr, le troisième et dernier tome de Toran, chez Nucléa. Je pense pouvoir le commencer d'ici Mars 2002.

 

Détail de la page 32 du Tome 1 de 'Toran' scénarisé par Isabelle Plongeon, dessiné et mis en couleur par Frédéric Peynet.

 

 • Avez vous un rituel de création avant d'aborder une nouvelle BD ?

 

Bien sûr. Je passe mon temps sur les recherches. Trouver de nouvelles "gueules", essayer de sortir des stéréotypes, même si je dois reconnaître que j'en ai beaucoup, dans Toran, de stéréotypes. Mais les personnages sont ainsi créés, je ne peux plus les changer en cours de route. En tout cas, et comme me l'a expliqué Régis Loisel, je veux essayer de sortir du cliché "Héroïne qui soit une bombe" et essayer de trouver des femmes qui ne soient pas forcément belles, mais qui aient du charme, qui dégagent une force très intense. C'est un travail très hardu, et je pêche encore beaucoup, dans ce domaine, j'en suis conscient.

Ensuite suivant le lieu où se passe l'univers de la BD, je fais plein de croquis, je me documente énormément. J'ai acheté pas mal de bouquin sur la jungle ou les fonds marins, pour Toran. De même, j'ai déjà commencé ma collection de livre de photos des endroits que nous allons développer avec Jean-Charles Gaudin. Et nous irons aussi faire des repérages directement sur place !

 

• Quel est votre personnage de comics préféré et votre dessinateur de comics préféré ?

 

Malheureusement, je n'y connais pas grand chose dans ce domaine. Donc, je ne peux pas tellement y répondre ... J'avais beaucoup aimé vers mes 12-13 ans, le Spiderman de McFarlane, j'apprécie aussi le travail de Madueira sur Battle Chasers, mais je manque énormément de connaissance dans cet univers pour dire quelque chose de crédible ...

 

• Pensez vous que le dessin doit s'effacer pour rendre la narration plus fluide ou qu'au contraire le dessin doit supplanter la narration et éviter les descriptifs inutiles ?

 

C'est justement ce que j'ai appris aux coté de Loisel, et je m'en aperçois de plus en plus, en regardant les grands maîtres de la BD : le plus important, dans une BD, c'est la narration. C'est primordial. Faire un beau dessin ne suffit pas, des cases éclatées dans tous les sens non plus, si l'on n'y comprend rien. Si le message ne passe pas, on se sera épuisé pour rien ! Le dessin est au service de l'histoire, et pour moi, il ne doit pas prendre le dessus. Il faut alors trouver le bon mélange entre un dessin efficace et une narration fluide. Attention : j'ai dit efficace, et pas nécessairement beau. Il faut aller au plus direct. Si on veut faire du beau dessin autant sortir un bouquin d'illustrations.

 

Un monstre tentaculaire trés attachant. Détail de la page 3 du Tome 1 de 'Toran' scénarisé par Isabelle Plongeon, dessiné et mis en couleur par Frédéric Peynet.

 

 Frédéric Peynet merci pour le temps que vous nous avez consacré.

Interview réalisée le 22 Décembre 2001 par Vincent.